On compte aujourd’hui plus de quatre cent fauconniers en France, dont la majeure partie est membre de l’ANFA, l’Association Nationale des Fauconniers et Autoursiers. Un regroupement opéré par une poignée de passionnés à la fin de la seconde Guerre mondiale dans l’idée de sauver une chasse – que d’aucuns considèrent parfois comme un art ou un mode de vie – qui avait alors quasiment disparu de l’Hexagone depuis près d’un siècle et le règne de Napoléon III (1852-1870). Pourquoi des hommes se sont-ils échinés à tenter de sauvegarder la fauconnerie coûte que coûte, au point qu’elle figure désormais au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO depuis 2010 ? Tout simplement parce que la fauconnerie est l’un des plus anciens modes de chasse qui soit, impliquant la sauvegarde d’un art millénaire qui se pratique de la même façon depuis la cour Louis XIII jusqu’à maintenant : on enlève le chaperon de son faucon, on le met sur l’aile, on le laisse faire carrière avant d’atteindre un certain plafond de plusieurs centaines de mètres, puis on lui lève un gibier au sol avec un chien, un « hé ! » part et le faucon réalise une goutte – comprendre une chute à pic – d’une durée de quelques secondes pour fondre à une incroyable vitesse sur sa proie, habituellement une perdrix, un faisan ou un lièvre. Enfin, pour la chasse de « haut vol » puisque la fauconnerie inclut également la chasse au bas vol, pratiquée avec des buses ou des autours à quelques mètres du sol, et qui intègre les mêmes préceptes. De fait, la fauconnerie n’est pas qu’un art, elle est aussi une culture, un langage. Son lexique comporte près de huit cent termes dont certains sont rentrés depuis bien longtemps dans les Larousse de France et de Navarre : « faire carrière », donc, mais aussi « hagard » (capturé adulte dans la nature), « niais » (sorti du nid) ou encore « débonnaire » (de bonne origine). Une noblesse du verbe renforcé par la coutume de l’habit : béret, veston de vénerie, de culottes courtes, chemisiers éclatants, cravate de belle étoffe et surtout bouton de chasse de l’ANFA font partie de l’apparat du bon fauconnier.
Mais la fauconnerie n’est pas qu’une somme de reliquats d’un mode de chasse séculaire, elle est aussi – et avant tout – une affaire d’émotions. C’est un voyage, une poésie. La majorité de fauconniers, un peu conteurs dans l’âme, évoquent facilement la fascination et la contemplation qu’offre cette symphonie de l’oiseau qui fond majestueusement sur sa proie. L’animal contre l’animal, la nature contre la nature. Un spectacle dans lequel l’humain ne peut être qu’humble spectateur, au service de l’oiseau plutôt que l’inverse. Une telle symbiose avec l’oiseau que tout le reste devient accessoire, parfois au grand dam de la famille du fauconnier lui-même. Un plaisir solitaire, presque égoïste, mais qui reste anecdotique comparé à certains dangers qui menacent la fauconnerie moderne. Parce que de nombreux problèmes écologiques condamnent de plus en plus les terrains, mettant en péril la sauvegarde de cet art, le chasseur sait qu’il doit respecter l’environnement pour perpétuer la fauconnerie. Chasser à l’oiseau, c’est en quelque sorte être écolo. Surtout, plus que pour n’importe quel autre mode de chasse, le prédateur n’est rien sans sa proie en fauconnerie. Une relation mise à mal par la surexploitation des sols et à l’agriculture à grande échelle qui provoquent inéluctablement une raréfaction du gibier. A croire qu’une inscription au Patrimoine immatériel de l’UNESCO n’est désormais plus suffisant pour sauver une culture millénaire, aujourd’hui mise en danger par l’homme.